L’ère du digital marque l’ère d’un marketing d’un nouveau type

Fin 2022, 70% de la population mondiale aura accès à Internet. Ce qui change la donne pour les entreprises, notamment en termes de marketing.

Découvrez cet article de l'excellente Harvard Business Review. L'auteur Jean Michel Huet est associé au sein du cabinet BearingPoint. Il travaille notamment sur les innovations liées aux TIC, aux télécoms et à la convergence aussi bien dans les pays développées qu’émergents, avec les spécificités liées à ces derniers (innovation inversée, BOP, etc.). (Accéder à l'article sur le site de Harvard Business Review)

Le digital est au cœur de ces transformations économiques. Il bouleverse les opérations traditionnelles et modifie la manière dont les institutions privées et publiques conduisent leurs activités, quel que soit leur secteur. Il révolutionne aussi bien la manière d’entreprendre, de communiquer, que la manière d’interagir avec les clients.

Le mot qui aura marqué la dernière décennie est sans nul doute l’anglicisme « business model » qui constitue un sujet de fond pour de nombreux livres à succès dans le domaine du management (plus de 300 références de livres de management sur Amazon). Le succès de l’université de St Gallen (en Suisse) en tête du classement des meilleures universités au monde du Financial Times n’est pas éloigné du succès de leur « navigateur », une déclinaison sous la forme de jeu des 55 business models qui régissent le monde des affaires. L’idée même du business model n’est pas nouvelle mais cette question a pris une tournure clé depuis la fin des années 1990 car les différents changements, notamment liés au digital, ont permis l’éclosion de nouveaux moyens pour monétiser, facturer des biens et des services. Du modèle basique achat – production/opération/transformation – vente, de nouveaux modèles apparaissent et offrent de nouvelles opportunités. La question liée à la manière de gagner de l’argent pour l’entreprise est donc devenue plus complexe. Le concept de chaîne de valeur, né des procédures industrielles, enseigné à des générations d’étudiants en école de commerce, est aujourd’hui dépassé car il ne permet plus de représenter la richesse et la variété offertes de nos jours. Une simple micro-entreprise ou start-up peut devenir un géant en quelques années alors qu’il en fallait des dizaines pour les marques installées depuis longtemps.

Passer d’une logique de produits à une logique de services

Le digital est au cœur de ces transformations économiques. Il bouleverse les opérations traditionnelles et modifie la manière dont les institutions privées et publiques conduisent leurs activités, quel que soit leur secteur. Il révolutionne aussi bien la manière d’entreprendre, de communiquer, que la manière d’interagir avec les clients. A titre d’exemple, le secteur automobile est en train de passer d’une logique de produits (achat d’une voiture) à une logique d’offre de services (offres de financement, de sécurité, etc.), et le secteur de la distribution d’une logique de relations entre entreprises (B2B – le fabricant vend via un réseau de distribution) à des relations avec le grand public (B2C – le fabricant vend directement au client final). Dans le même temps, des entreprises à l’histoire centenaire dans la production tendent à développer des services. Désormais pour vendre un produit, elles doivent apprendre à faire payer un usage au travers d’un service, comme l’illustre le cas de l’automobile.

Les entreprises qui ont compris le caractère fondamental de cette évolution sont nombreuses. Elles ont déjà commencé à introduire les technologies digitales au sein de leurs opérations. Pour que l’intégration de la technologie numérique puisse réellement apporter des améliorations tangibles au sein des métiers, il est nécessaire de revoir sa stratégie afin d’intégrer cette composante nouvelle. Mettre en place un écosystème permet de gérer l’ensemble des flux d’activité d’une entreprise ou d’une collectivité : clients, fournisseurs, données associées, services, etc. Son potentiel est important en matière de synergies, de prise en compte des besoins du client, de rapidité d’accès aux nouveaux marchés ou encore de capacité de déploiement et de dimensionnement des nouvelles offres.

Transport des informations

La seconde révolution industrielle a vu naître des industries (automobile, aéronautique) qui ont été son fer de lance. La question en suspens est de savoir quel sera l’équivalent de ces secteurs en 2020, c’est-à-dire les vrais secteurs économiques nés de la nouvelle révolution industrielle. La première révolution industrielle avait permis le transport rapide et sur une longue distance des marchandises, la seconde le transport des personnes, la troisième devait être celle du transport des informations. Au cours de la décennie écoulée, plusieurs hypothèses sont apparues pour soutenir que le fameux « nouveau modèle » avait été trouvé. Après l’explosion de la bulle dot.com au début des années 2000, Internet a fait son grand retour et est revenu au cœur de ces nouveaux modèles avec un effet de masse réel cette fois-ci : en effet, d’ici à fin 2022, 70% de la population mondiale aura accès à Internet (source : IUT’s Measuring digital development : Facts and figures, 2019). Le développement des énergies vertes et des réseaux électriques intelligents est aussi apparu comme l’aboutissement de 50 ans de maturation informatique/télécom/internet et d’enjeux écologiques. Le succès de l’impression 3D alliant réseau, modèle déconcentré, dynamique industrielle a aussi été évoqué. Toutes ces idées sont bonnes et montrent la richesse d’innovation de la période que nous vivons.

Incontestablement, le management classique et la stratégie à moyen/long terme des entreprises sont impactés. La MIT Initiative on the digital economy refonde une partie des bases conceptuelles du fait de l’impact des plateformes. Avec des approches ouvertes, multi-sectorielles, les concepts classiques de « chaînes de valeur », voire les « Cinq forces » de Porter qui ont été l’alpha et l’oméga de la stratégie pendant 30 ans, sont à revisiter. L’économie des plateformes remet au goût du jour les approches, apparues dans les années 1990, de Barry Nalebuff et Adam Brandenburger sur la co-opétition ; les jeux d’acteurs sont à présent sur plusieurs dimensions (plateforme contre plateforme, plateforme contre partenaire, partenaire contre partenaire) ; partenariats et relations deviennent des questions stratégiques ; de nouveaux concepts se développent (« design thinking », « minimum viable product », etc.). La concurrence n’est plus analysable uniquement avec le prisme de Porter qui n’a pas connu le digital dans le fondement de sa matrice. La stratégie ne se résume plus à tuer le concurrent mais plutôt à faire grossir le gâteau (le marché, le nouveau consommateur, l’importance du lien avec le client, l’effet réseau, etc.). Le débat entre le professeur de corporate finance de NYU Stern Aswath Damodaran et Bill Gurley, l’un des investisseurs dans Uber, illustre ce changement de paradigme. Le premier contestait la valorisation d’Uber en calculant son potentiel chiffres d’affaires à venir sur la base du marché actuel des taxis. Le second estimait que le marché était sous-évalué car Uber allait créer un effet de réseau positif et développer la demande (usage de plus en plus important des VTC ou taxi) et l’offre (de plus en plus de chauffeurs). Cette analyse était basée sur un cercle vertueux de croissance et d’extension de marché dans lequel l’usage joue un rôle clef : plus de chauffeurs et plus de clients de VTC a pour effet de réduire les temps morts – pour tout le monde – et le prix de la course.

S’adapter, et vite

Tous les acteurs ont à y gagner, ou y perdre selon leur temps de réaction. Les acteurs traditionnels n’ont pas perdu et peuvent encore revenir en surfant sur les vagues actuelles (Nike et les objets connectés, Schneider Electric et l’usage de la data pour améliorer la production). Les acteurs nés depuis 1994 (comme Amazon) ont pour quelques-uns pris un temps d’avance en quelques années mais peuvent aussi être menacés, comme en leur temps le furent les pionniers Altavista, Netscape ou myspace, par des acteurs d’autres secteurs venant sur leur terrain ou par de futures start-up. Les gouvernements et administrations doivent aussi avancer sur la question de leurs propres offres de services au citoyen mais aussi sur le champ de la régulation ou de la prise en compte des changements sociétaux. Des questions éthiques et politiques vont aussi se poser avec le développement du transhumanisme.

L’ensemble de ces transformations nécessitent de penser l’accès au marché différemment et donc c’est bien le marketing qui est aujourd’hui impacté. Ces innovations forcent les praticiens du marketing à revoir les modèles opératoires classiques et à penser différemment. Source d’innovation commerciale entre 1950 et 1980, le marketing était devenu, dans les années 1990 et au début du 21e siècle, un métier plus routinier où l’on répliquait les mêmes modèles de « brief » et de « recommandations » dans les entreprises vedettes de l’époque. C’est bien un marketing nouveau qui apparaît et ringardise celui de la fin du 20e siècle (voir la 16e édition de Marketing management, parue en 2019 et profondément remaniée pour tenir compte de ces changements soutenus par trois grandes tendances : le rôle du digital et des innovations associées (big data, internet des objets), le développement des pratiques RSE et l’émergence dans ce champ des entreprises chinoises). En quinze ans, ces entreprises ont perdu leur leadership sur les meilleures pratiques en marketing, au profit des entreprises confrontées à ces changements de modèles économiques : le marketing chez Alibaba, Amazon Prime, SpaceX, Snapchat ou Facebook fait aujourd’hui référence (toujours dans la 16e édition de Marketing Management, sur l’ensemble des études de cas, 20 concernent le marketing de plateformes digitales, 9 la grande distribution, l’alimentaire et les boissons, 5 le luxe, 3 l’habillement et la cosmétique.). Ce nouveau marketing se structure désormais autour de quatre défis essentiels :

1- Construire des écosystèmes de partenaires en étant capable de proposer des offres destinées à plusieurs acteurs, voire à des concurrents ; de l’innovation ouverte (hérésie dans certains secteurs ou la propriété intellectuelle semble l’interdire), avec la capacité de travailler avec des start-up, en passant par la possibilité de construire des offres avec différents acteurs (« bundle »), en jouant un rôle de constructeur de ces offres.

2- Identifier de manière continue les bons cas d’usage, c’est-à-dire la manière dont les clients vont percevoir l’utilité pour eux de prendre tel service à tel coût pour telle action. Cela nécessite d’être capable de construire des nouveaux usages, de les monétiser (ce qui est souvent le plus gros obstacle) et d’accélérer la fréquence de sortie de nouvelles offres (et donc de réduire le « time to market »). Il s’agit aussi d’utiliser le digital comme manière de vendre différemment

3- Répondre aux attentes des clients, quitte à faire évoluer son business model, si nécessaire. Il s’agit d’aller plus loin que « le client est au centre »… Désormais, le client est aux commandes : plus grande transparence sur la qualité, sur le prix, sur l’activité, sur sa consommation d’offres de service, mise en place de combinaisons nouvelles où l’on peut aider le client à vendre à ses propres client (le B2B2C, c’est-à-dire la vente à plusieurs niveaux, mais aussi le développement de plateforme C2C, de consommateur à consommateur).

4- Etre agile, un terme à la mode mais qui sous-tend bien une nouvelle manière de s’organiser, de faire sauter les silos, d’être capable de défendre une approche holistique ; ces changements de stratégie de « go to market » et de business models ont un impact sur l’organisation qui doit s’adapter à l’ouverture à d’autres acteurs, à de nouveaux modèles, à de nouveaux modes de collaboration et par la même de travail.